Elles n’ont pas attendu qu’on leur donne la parole. Elles l’ont arrachée. À la machette, au cri, au silence brisé. Dans les mornes, les cachots, les camps de marrons, les champs de canne, les tribunaux militaires. Elles ont dit non. Non à l’esclavage. Non à l’effacement. Non à l’histoire
écrite sans elles.
Aujourd’hui, leurs noms résonnent comme des tambours dans la mémoire caribéenne : Solitude, Flore Gaillard, Sanite/Sanité Bélair, Queen Nanny, Mary Prince. Cinq femmes, cinq flammes. Cinq récits à transmettre, à incarner, à faire vibrer.
Mais comment faire entendre ces voix dans un monde saturé d’images et de récits dominants ? Comment transformer leur mémoire en expérience vivante, en outil pédagogique, en acte de transmission ?
Solitude : le ventre en révolte
Guadeloupe, 1802. Solitude est enceinte. Elle sait qu’elle va mourir. Mais elle choisit le combat. Aux côtés de Delgrès, Ignace, Palerme, elle résiste à l’armée de Richepance envoyée par Napoléon pour rétablir l’esclavage. Elle est capturée, condamnée, exécutée le lendemain de son accouchement.
Son corps devient symbole. Son silence, cri. Son histoire, énigme. Et si on la racontait dans un escape game ? Une cellule reconstituée, des indices à décrypter, une voix qui guide les joueurs à travers les choix impossibles d’une femme en lutte. Solitude ne serait plus une statue : elle
serait une expérience.
Flore Gaillard : la guérilla dans les bois
Sainte-Lucie, 1795. Flore Gaillard mène les « Brigands », armée de marrons, libres de couleur et soldats républicains. Elle connaît les pitons, les sentiers, les embuscades. Elle défie les Britanniques, les chasse, les fait plier. Puis elle disparaît.
Mais son nom reste gravé dans la montagne : le Piton Flore. Une trace, une mémoire, une victoire. Et si on en faisait un circuit narratif ? Une randonnée immersive où chaque étape révèle un fragment de son combat, entre géographie et histoire, entre nature et résistance.
Sanité/Sanite Bélair : mourir debout
Saint-Domingue, 1802. Sanite est jeune, affranchie, stratège. Elle combat aux côtés de son époux Charles Bélair contre l’expédition napoléonienne. Capturée, condamnée à la décapitation, elle exige d’être fusillée. Elle refuse le bandeau, le billot, la soumission. Elle meurt les yeux ouverts.
Et si son courage devenait un podcast ? Une série audio où chaque épisode explore les dilemmes d’une femme en guerre, entre amour, stratégie et sacrifice. Une voix, une musique, une tension. Sanite ne serait plus une note de bas de page : elle serait une héroïne sonore.
Queen Nanny : la cheffe des montagnes
Jamaïque, 1720. Nanny et son frère, Quao, fondent Nanny Town, bastion marron dans les Blue Mountains. Elle dirige, soigne, protège, combat. Elle est cheffe militaire et femme Obeah, détentrice de savoirs spirituels. Les Britanniques la craignent, la traquent, la mythifient.
Elle devient légende, héroïne nationale, figure de billet. Mais pour les Marrons, elle est bien plus : elle est l’âme de la liberté. Et si on la faisait revivre dans une installation muséale immersive ? Une salle circulaire, des projections, des chants, des récits croisés. Nanny ne serait plus une icône figée : elle serait une présence.
Mary Prince : écrire pour exister
Angleterre, 1831. Mary Prince est esclave, puis libre. Elle écrit. Elle raconte les coups, les viols, les séparations, les humiliations. Elle témoigne. Son récit devient arme politique, mémoire vivante, voix des sans-voix.
Elle est la première femme noire à publier son histoire au Royaume-Uni. Et elle oblige le monde à écouter. Et si son texte devenait une performance ? Une lecture publique, entre théâtre et témoignage, où les mots deviennent chair, où le public devient témoin comme l’a fait la comédienne professionnelle Souria Adèle, sous la houlette du metteur en scène, Alex Descas (https://memoire-esclavage.org/spectacle-mary-prince-0).
Matrimoine en action : transmettre autrement
Ces femmes ne sont pas des statues.
Elles sont des récits à activer, des mémoires à transmettre, des expériences à faire vivre. À travers des escape games, des podcasts, des expositions, des circuits narratifs, nous pouvons leur redonner souffle, corps, voix.
D’ailleurs sur mon Instagram, @la_ptite_historienne (https://www.instagram.com/la_ptite_historienne/), vous retrouverez quatre portraits de femmes faisant partie intégrante de notre matrimoine.
Cette série s’appelait le “Matricast” et ne sera, bien évidemment, pas, la dernière !
Raconter leur histoire, c’est aussi raconter la nôtre.
Une histoire de résistance, de dignité, de transmission.
Une histoire qui ne s’écrit pas seulement avec des mots, mais avec des émotions, des choix, des engagements.
Et toi, lecteur·rice, que feras-tu de cette mémoire ?
La laisseras-tu dormir dans les archives ?
Ou la réveilleras-tu dans les rues, les voix, les corps, les jeux, les regards ?

