Le Meuble Antillais

Un des éléments du patrimoine martiniquais

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

· Patrimoine et Objets

LE MEUBLE ANTILLAIS :
UN DES ÉLÉMENTS DU PATRIMOINE MARTINIQUAIS

LES INTÉRIEURS DE MAISONS ANTILLAISES AUX XVIIème-XVIIIème SIÈCLES

Les intérieurs de maisons des colons aux Antilles françaises, au XVIIe siècle et au début du XVIIIe, ne se composaient que « d’un lit, une table, un coffre et deux bancs […]. Le lit était souvent un hamac sans oreiller ni couverture ». [1]. Ce mobilier était dépourvu de décorations. Il était, en effet, produit par des charpentiers et des menuisiers de marine ou d’intérieur, dont la présence est attestée par des documents archivistiques. Il n’existait pas, semble-t-il, d’ébénistes ayant pu vivre ou simplement exercer dans les colonies françaises, avant le premier quart du XVIIIe siècle, information confirmée dans ces mêmes archives. Ces ouvriers du bois, dont on retrouve la description dans les ouvrages du Père Labat, étaient des « engagés », c’est-à-dire des hommes de toute provenance qui avaient voulu fuir à cause de leur pauvreté.

Plus tard, voyant la demande de plus en plus forte, le Roi Louis XIV accorde aux artisans qui voudraient passer aux îles, des privilèges inouïs, notamment, le droit à leur retour d’exercer leur métier dans toutes les villes du royaume sans avoir à passer par les terribles barrages corporatifs. C’est sans doute ainsi que l’ébénisterie est apparue progressivement en France, puis, aux Antilles françaises.

broken image

Image Photo ébéniste_Article meuble antillais : Gravure prise dans Alphabet des arts et métiers contenant la description des arts de l'armurier, du boulanger, du chapelier, du distillateur, de l'ébéniste, de l'horloger, de l'imprimeur, du jardinier, du maçon, du pêcheur, etc., etc., Paris, veuve Thiériot, 1853 (disponible sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54487763/f32.item), p. 26.

Avant, tout, l’ébéniste se distingue du menuisier. En effet, ce terme provient du mot « ébène », un arbre poussant sur les terres asiatiques et africaines. Cet artisan ne travaillait qu’avec ce bois, considéré comme précieux. En 1743, l’ébéniste devient un corps de métier à part entière, se distinguant celui de menuisier. C’est « le passage de […] l’artisan […] à l’artiste »[2]..

Effectivement, l’ébénisterie consiste à sublimer le meuble, pratiquement d’en faire un œuvre d’art. De plus, cet ouvrier ne travaille qu’avec des bois caribéens dont les teintes sont plus chatoyantes et dont la résistance est plus forte face aux caprices atmosphériques. La naissance de ce corps de métier révèle donc d’une lente évolution du meuble.

Cette évolution se remarque dans les intérieurs des maisons antillaises qui se dotent de plus en plus de meubles traditionnels bien travaillés, à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle. Ces derniers sont, selon Michael Connors, l’œuvre d’esclaves, puisque la majorité des ébénistes des colonies étaient d’origine africaine. Ils avaient, effectivement, une habileté et un savoir-faire particuliers pour la vannerie, le travail du chaume, la poterie et la menuiserie.

De ce fait, chaque habitation martiniquaise avait, parmi ses esclaves, au moins un qui possédait un talent en charpenterie, en menuiserie, en tournage de bois ou en ébénisterie. Malheureusement, nous ne possédons pas plus d’informations sur les créateurs de mobilier antillais au XVIIIe siècle car aucun texte ne nous est encore parvenu. Seules leurs réalisations et leurs aptitudes témoignent de leur existence. D’ailleurs, les premiers meubles issus des ateliers d’ébénistes locaux sont des meubles importés de France qui avaient subi des dommages dus au climat tropical des Antilles françaises. Ces artisans du bois ont dû réparer les meubles avec des bois indigènes. Progressivement, leur travail devient plus raffiné et plus fin avec l’introduction, sur ces derniers, de motifs traditionnels et locaux tels que le coquillage, l’ananas, les feuilles de bananiers, ect...

Comme le montre cette chaise, ci-dessous, en mahogany, d’inspiration anglaise. Datant du XIXe siècle, le dossier de celle-ci est à motif végétal : un ananas de part et d’autre de la première traverse. Celle intermédiaire, à motif rectangulaire, est droite. L’assise est cannée. Les pieds avant sont tournés et rainurés et les pieds arrière en sabre se continuent dans le dossier.

chaise-anglaise XIXe-siecle-histoire-meuble -antillais

Image Chaise anglaise XIXe siècle_Article meuble antillais : Chaise de style anglaise, XIXe siècle, Habitation Crassou au Marigot, Martinique. Crédits-photo, Mélody Moutamalle

PARLE-T-ON DONC D'UN STYLE "CRÉOLE" OU "ANTILLAIS" ?

Certains spécialistes comme Françoise Darmezin de Garlande et Joseph Poupon, pensent que nous ne pouvions pas parler d’un style « créole » mais bien d’un style antillais. En effet, les ébénistes locaux s’inspiraient des styles européens et l’adaptaient sur les bois indigènes, qui étaient des matériaux durs à travailler. Le style « créole » sous-entendait que les ébénistes locaux utilisaient toujours les meubles importés de France comme « matériau premier ».

Or, il y a une vraie fabrication de meubles locaux par les artisans martiniquais. La console martiniquaise est le meuble typiquement antillais qui synthétise notre pensée. Fabriquée souvent en courbaril, nous la trouvions dans toutes les pièces de la maison. Souvent disposée entre les fenêtres d’une vaste pièce ou dans une entrée, la console martiniquaise avait également la hauteur idéale pour servir de desserte dans une salle à manger, ou bien de secrétaire ou même encore de coiffeuse dans la chambre à coucher. C’est un meuble à tout faire. Il n’a d’équivalent nulle part : la console martiniquaise est unique et originale.

La photo ci-dessous nous le démontre aisément. Cette console, en courbaril, a un plateau supérieur à deux tiroirs munis d'un anneau droit et épais. Il repose sur des pieds tournés en balustre, avec une alternance de trois tores, un fuseau, trois tores. Son socle inférieur est aussi épais et droit et repose sur des pieds tournés.

console-antillaise-meuble-epoque-antillais

Image Console antillaise_Article meuble antillais : Console martiniquaise, XIXe siècle, Habitation Crassou au Marigot, Martinique. Crédits-photo, Mélody Moutamalle

L’ÉBÉNISTERIE LOCALE À L'AUBE DU XIXème SIÈCLE

En dépit de l’industrialisation du meuble, débutée vers la fin du XIXe siècle, l’ébénisterie locale n’a pas perdu de son prestige. Plus encore, le meuble antillais représente un élément essentiel du patrimoine martiniquais, de par sa muséification en 1999 avec l’inauguration du Musée régional d’Histoire et d’Ethnographie. D’ailleurs, il offre à la population locale, à son premier étage, une représentation de l’intérieur d’une maison bourgeoise. Celle-ci met en avant les trois pièces principales ainsi qu’une annexe, à savoir : le salon, la salle à manger, la chambre à coucher et la salle de toilette. Les meubles et les objets journaliers sont ainsi mis en scène afin que le public soit plongé dans le quotidien d’une famille bourgeoise de la fin du XIXe siècle. Cette muséification du meuble antillais est de l’ordre de la « patrimonialisation » qui correspond à « la volonté de redécouvrir et de perpétuer les objets qui témoignent de la vie des prédécesseurs » [3].

Ce phénomène apparaît quand la transmission s’est interrompue avec l’élévation du niveau de vie et l’accroissement des importations. Face donc à la prolifération d’objets-témoins, les vestiges du passé s’inscrivent alors dans une pérennisation, orchestrée par des acteurs culturels tels que le Musée.
 

En résumé, le meuble antillais est devenu partie intégrante dans notre patrimoine martiniquais. Il ne faut pas donc s’étonner de voir encore une console martiniquaise, trôner fièrement dans un intérieur entre deux fenêtres, pour rappeler un pan de notre culture matérielle. Il est même un rappel de notre « mémoire collective », qui correspond, selon Maurice Halbwachs à « un courant de pensée continu, d’une continuité qui n’a rien d’artificiel, puisqu’elle ne retient du passé que ce qui est encore vivant ou capable de vivre dans la conscience du groupe qui l’entretient » [4].

BIBLIOGRAPHIE

  • BERTRAND, Anca, Parallèle, la Martinique, la Guadeloupe n°27, juillet-août 1981.
  • CHIVALLON, Christine, « Rendre visible l’esclavage ; Muséographie et hiatus de la mémoire aux Antilles françaises » in L’Homme, 2006/4, n°180, pp.7-42.
  • CONNORS, Michael, Maisons des Antilles, un art de vivre d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Flammarion, 2006.
  • E. CAPGRAS (dir.), Les cahiers du patrimoine, Fort-de-France, n°15/16, juillet 1997.
  • DAMEZIN DE GARLANDE et POUPON, Joseph, L'Art mobilier de la Martinique aux 18e et 19e siècles,  Office national des forêts Département de la Martinique, 1986.
  • DE REYNAL, Adeline, « Le mobilier des Antilles » in Bruno Carreda (dir.), La Grande Encyclopédie de la Caraïbe, Tome 10, [s,l], Sonoli, 1990.
  • NICOLAS, Thierry, « Politique patrimoniale et « patrimonialisation » aux Antilles françaises » in Techniques et Culture, 42, 2004, pp.131-140.

NOTES

  • [1] CONNORS, Michael, Maisons des Antilles, un art de vivre d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Flammarion, 2006, p.61.
  • [2] E. CAPGRAS (dir.), Les cahiers du patrimoine, Fort-de-France, n°15/16, juillet 1997, p.6
  • [3] NICOLAS, Thierry, « Politique patrimoniale et « patrimonialisation » aux Antilles françaises » in Techniques et Culture, 42, 2004, pp.131-140.
  • [4] CHIVALLON, Christine, « Rendre visible l’esclavage ; Muséographie et hiatus de la mémoire aux Antilles françaises » in L’Homme, 2006/4, n°180, pp.7-42, pp.8-9.