« Bamboula » : l’évolution d’un terme historique

 

 

 

 

 

 

 

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« BAMBOULA » : L'ÉVOLUTION D'UN TERME HISTORIQUE

Désignant un instrument de musique à la base et une danse, le terme « bamboula » fut dénaturalisé avec le temps, surtout avec la période coloniale dont le discours en a dévalorisé le sens.

DÉFINITION DU TERME "BAMBOULA"

Selon la linguiste et sémiologue Marie Treps dans son ouvrage Les mots voyageurs, petite histoire du français venu d’ailleurs (Le Seuil), « bamboula » provient de « ka-mombulon », qui signifie « tambour » dans les langues, sarar et bola, parlées en Guinée portugaise, l’actuelle Guinée-Bissau [1]. Il y avait donc une connotation musicale de ce terme, voire même, artistique car, il désignait aussi la danse exécutée au son du même instrument. Il est parvenu aux oreilles européennes lors de la colonisation, au XVIIe siècle puisque le Père Labat en parle même, dans son ouvrage, Nouveau voyage aux Isles de l'Amérique (1722) [2].
 

D’ailleurs, le bois qui servait à fabriquer le « bamboula », le tambour, s’appelait le « bombalon » qui était frappé par un bâton pour émettre un son à forte résonance [3].
 

A fil des siècles, ce mot, jusque-là dans les langues africaines, se transféra dans la langue européenne et française pour changer de sens.
 

En effet, longtemps associé à la fête et aux expressions artistiques des cultures africaines, ce terme fut assimilé au racisme et au mépris à l’égard de la population noire, au temps de la colonisation. Petit retour dans le temps : nous sommes, au XXe siècle, à l’aube de la Première Guerre mondiale. L'abolition de la Traite négrière ainsi que de l’esclavage est un tournant dans l’Histoire des Noirs qui sont nouvellement libres. Cependant, la France qui rentre en guerre avec les puissances de l’époque, a besoin de main d’œuvre pour grossir son armée. Elle se tourne donc vers ses colonies dans le but de recruter des hommes.
 

C’est donc à ce moment que le terme « bamboula » refait surface pour qualifier les tirailleurs africains. Ce mot renvoie une vision négative du Noir africain qui dépeint une image liée à la sauvagerie, au cannibalisme, à la sexualité animale et à la naïveté enfantine, supposés des soldats noirs [4]. Les cultures primitives étant jugées barbares par les Européens durant toute l’époque colonisatrice (et encore aujourd’hui !).
 

Cette image de Noir niais, sodomite et cannibale, est accentuée par les publicités et les illustrations de l’époque avec le fameux sourire Banania ou encore, les Aventures de Tintin au Congo. Elle le sera plus avec une publicité qui traversera le temps…

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LA PUBLICITÉ "BAMBOULA"

Vers la fin des années 1980, « Bamboula » devient un puissant argument marketing avec la biscuiterie Saint-Michel qui lance sa nouvelle marque de gâteau sec au chocolat baptisé Bamboula [5].

Une marque dont la figure de proue, cliché oblige, est un petit garçon noir vêtu d’un pagne léopard qui fait des singeries et caricature totalement les ethnies africaines, comme le montre l’affiche publicitaire ci-dessous [6].

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Pendant plusieurs années, les affaires prospèrent avec cette illustration très clichée.

Le succès pousse la maison-mère à investir et en 1994, Saint-Michel s’associe au parc zoologique de Port-Saint-Père, près de Nantes, qu’il fait renommer Le Village de Bamboula. L’entreprise y installe une statue géante de sa mascotte ainsi que la reconstitution d’un village africain d’inspiration ivoirienne. Des figurants habillés de tenues traditionnelles et entourés d’animaux sont alors censés divertir les visiteurs du zoo. C’en est trop pour de nombreuses associations qui portent plainte contre le biscuitier pour atteinte à la dignité humaine. L’épisode signe l’arrêt de mort de la marque [7].

Il sera de même pour les publicités à caractère raciste flagrant qui mettent en scène un Noir dont les traits humains sont gommés, voire même, inexistants.

Toutefois, encore aujourd’hui, il subsiste malheureusement, des clichés publicitaires moins explicites mais tout aussi, raciaux qui dépeignent, le Noir comme un être naïf à la limite du barbarisme.

QUE DEVONS-NOUS RETENIR DE CE TERME ?

Le mot « Bamboula » ne vient pas de la langue française mais n’est qu’une appropriation de cette dernière pour en créer un autre sens.

Au tout début, « Bamboula » désigne un tambour du continent africain et la danse effectuée en attendant le son de l’instrument. Au cours des siècles, l’appropriation européenne linguistique a donc dénaturalisé le terme pour en façonner un propos raciste qui sonne encore dans les bouches des Européens.

C’est la raison pour laquelle, Jeannine LAFONTAINE, alias Jala, célèbre marionnettiste martiniquaise la remit au goût du jour en intitulant son festival Bamboula BwaBwa et Marionnettes [8] dans le but de redonner à ce mot, son véritable sens originel. Il est donc associé à la fête des marionnettes et non, à la figure raciste d’un Noir niais, sodomite et cannibale du XXe siècle que l’Europe et la France ont voulu concéder, aux tirailleurs africains.

NOTES :

BIBLIOGRAPHIE :